
Barbarie sous antidépresseurs
Un adolescent de 16 ans vient de tuer sa professeure d’espagnol par un acte d’une extrême barbarie. Immédiatement, enquêteurs et médias ont éliminé une à une les pistes classiques. Non ce garçon n’était pas connu des services de police, non il n’était pas radicalisé, non il n’était pas connu pour des comportements anormaux, oui, son lycée catholique jouissait d’une excellente réputation, oui, la professeure était appréciée de ses élèves. Alors, il faut bien trouver quelque-chose pour expliquer un comportement consistant à préméditer d’enfoncer un couteau profondément dans le corps d’une femme et d’y parvenir sans hésitation, sans trembler, sans tomber en syncope au moment de l’accomplissement d’un geste qu’aucun esprit sain ne peut concevoir. Les psychologues chercheront quelles pouvaient être les fantasmes amoureux de ce garçon envers sa prof ou quelles humiliations il avait pu ou cru subir. Quand bien même ils décrypteraient quelque motif de ce genre, en arriveraient-ils à considérer qu’il conduise logiquement et irréversiblement au couteau qui s’enfonce dans une chair vivante ? Qui en serait capable même devant son pire ennemi ?
On a l’habitude de mettre immédiatement en place la cellule psychologique destinée à protéger les observateurs de tels actes contre le fameux SSPT (syndrome de stress post-traumatique). Les psychologues considèrent, avec raison, que le seul fait d’assister à une telle atrocité est suffisant pour perturber durablement l’esprit. C’est donc un euphémisme de conclure que l’esprit de celui qui commet l’atrocité est largement plus perturbé que pourra l’être celui des témoins qui n’en ont perçu que des bribes.
Il reste donc à trouver ce qui a pu détraquer le mental de ce garçon et de ceux qui se livrent à de telles barbaries. Et chacun repart dans les pistes classiques, conventionnelles et consensuelles…
De façon surprenante, un facteur causal est systématiquement omis. C’est pourtant le plus logique, le plus simple cliniquement et l’un des plus faciles à confirmer : une drogue capable de perturber fortement le psychisme, l’humeur et le comportement. Nous savons que l’alcool désinhibe et qu’il perturbe le discernement, il provoque la majorité des accidents de la route, il pousse les soldats de Wagner au viol sans retenue et il aidait nos poilus à enfoncer leur baïonnette dans le ventre de l’ennemi. Les amphétamines sont connues pour aider les djihadistes au moment de leur sacrifice ultime. La cocaïne vient encore de confirmer sa nocivité sur le comportement d’un célèbre humoriste qui a brisé la vie d’impromptues victimes.
Les seules drogues qui ne font jamais l’objet de suspicions ni de vérifications sont les psychotropes prescrits par le corps médical. Comme leur nom l’indique, ces drogues, ont un tropisme sur le psychisme, mais on semble considérer que ce tropisme ne peut se traduire que par des effets positifs ou neutres. Les psychotropes seraient ainsi les seuls médicaments à ne pas avoir d’effet indésirables. On veut bien leur accorder quelques effets secondaires sur le foie ou autres organes, mais comment accepter que des produits validés par les ministères, prescrits par tant de psychiatres et autres médecins, et remboursés par la Sécurité sociale puissent être pourvoyeurs de telles atrocités ?
En effet, après les obligatoires manifestations d’émotion et les condoléance des ministres concernés et des diverses associations de parents ou d’enseignants, cette causalité n’a été évoquée par personne.
Quelques médias ont pris la peine de préciser que cet adolescent était déprimé, qu’il avait fait une tentative de suicide et qu’on lui avait récemment prescrit des antidépresseurs. Tiens ! Voilà pourtant une piste qu’il est impératif et facile d’explorer, car nous disposons déjà de nombreuses données.
Les antidépresseurs, et plus particulièrement ceux de type ISRS (Deroxat® paroxetine, Prozac® fluoxetine, Seroplex® escitalopram) et ISRSN (Effexor® venlafaxine, Cymbalta® duloxétine) sont abondamment prescrits malgré les vives et anciennes polémiques dont ils sont l’objet au sein du corps biomédical pour de multiples raisons. Tout d’abord, les « dépressions » ont une nosographie instable et largement méconnue par la plupart des prescripteurs. Ensuite, l’action de ces psychotropes sur l’ensemble des « états dépressifs » peut parfois être bénéfique à court terme, mais à moyen et long terme, ils ne sont pas plus efficaces que des placebos, car presque toutes ces dépressions ont une guérison spontanée. Ces médicaments ont d’ailleurs commencé leur carrière par les plus grosses fraudes de l’histoire de essais cliniques : les fabricants avaient dissimulé les essais négatifs. Les polémiques sur la majoration du risque de suicide chez les adolescents ont été marquées par le scandale de l’étude 329 qui avait dissimulé les données brutes. Les procès pour fraude ont déjà coûté des milliards de dollars aux firmes. Profitons-en pour constater pragmatiquement que le taux de suicide de chaque pays évolue sans la moindre corrélation avec le volume de prescription des ISRS.
Je n’oserai évidemment pas dire tout cela sans le support d’une volumineuse bibliographie qui dénonce avec sérieux l’inefficacité et la dangerosité de ces antidépresseurs.
Mais il y a beaucoup plus grave que toutes ces accablantes données. Les ISRS ont été maintes fois suspectés de provoquer des actes de barbarie que rien ne laissait prévoir avant leur prescription. Ma première expérience clinique en ce domaine est celle d’un confère médecin un peu surmené, qui en avait consommé sur les conseils d’un visiteur médical et qui a massacré sa femme et ses enfants à coups de hache. Je n’ai pas fait de SSPT, mais j’ai développé une certaine prudence envers les prescriptions de psychotropes. Bien que personnel, cet exemple n’a évidemment aucune valeur s’il n’est pas cumulé avec les milliers d’autres vécues par mes confrères de tous pays.
Dès 2004, David Healy avait publié un premier livre sur les mensonges et dangers du Prozac1. Puis en 2017, Peter Gotzsche, l’un des fondateurs de la collaboration Cochrane, organe indépendant de critique de l’information thérapeutique, a jugé nécessaire de publier un ouvrage plus général2 pour alerter les médecins sur les dangers des psychotropes. Des journalistes ont également effectué des enquêtes sur ce thème en fouillant dans les faits divers et la bibliographie souvent méconnue, voire dissimulée3,4. Tous évoquent les mêmes barbaries : corps découpés en morceaux, avions écrasés volontairement et autres tueries de masse que conflits familiaux, troubles psychiques ou idéologies ne suffisent pas à déclencher sans le catalyseur d’un psychotrope. Tous estiment que 90% des crimes de masse sont commis sous leur influence. Allégation qu’il serait facile de confirmer par une étude rétrospective en ayant l’accès aux prescriptions médicales des auteurs de ces actes, et par une étude prospective après avoir légalement exigé le dosage des psychotropes dès le début des enquêtes pour homicide.
Ce nouvel assassinat vient s’ajouter à la longue liste des actes inexplicables par d’autres moyens. Certes, tout est toujours plurifactoriel ; des troubles mentaux non diagnostiqués ou des psychoses en début de développement peuvent exister en filigrane, mais ces antidépresseurs trop hâtivement prescrits sont assurément le facteur dominant du passage à l’acte.
Alors, en lieu et place du cortège d’indignations, il serait bien de profiter de cette nouvelle barbarie pour enfin mettre en place les moyens d’établir les preuves définitives et incontestables de cet effet secondaire médicamenteux hors norme puisque les victimes se comptent aussi hors des patients. Cela serait certainement le plus gros scandale de la pharmacologie. Nous connaissons les longs délais de mise à jour des scandales médicamenteux… Les ISRS ont déjà quarante ans…
Il grand est temps d’oser percer le secret médical qui entoure les dossiers suspects, d’oser légiférer sur le dosage systématique des antidépresseurs après chaque suicide ou barbarie inexplicable, d’oser réclamer les données brutes des essais cliniques trop longtemps dissimulées, d’essayer de comprendre les raisons du succès de ces médicaments auprès des médecins, succès qui ne semble pas pâtir de l’épidémiologie catastrophique des troubles mentaux, traités ou non.

Dr Luc Perino, président de l’ACOPAV (association de contrôle des psychotropes et d’aide aux victimes)
1 Healy D. Let them eat Prozac. New-York University Press. 2004
2 Gotzsche P. Psychiatrie mortelle et déni organisé. PUL, 2017
3 Roger Lenglet. Psychotropes et tueries de masse. Actes Sud – 2019
4 Ariane Denoyel. Génération zombie : enquête sur le scandale des antidépresseurs. Fayard, avril 2021