Emmanuel

LA BONNE DOSE

J’ai subi une dépression sévère en 2018 (j’avais 67 ans et étais en retraite depuis presque 3 ans), après avoir eu des insomnies de plus en plus longues pendant plusieurs années, au point de ne plus dormir qu’une heure par nuit vers la fin juin de cette année-là. En juillet, j’étais dans un tel état (incapable de lire, de regarder la télé – même les matches de la Coupe du Monde de football -, de me concentrer sur des activités intellectuelles, de m’occuper du jardin, je mettais des heures à me décider à manger, à m’habiller, le moindre événement inhabituel me paniquait complètement…). Tout cela m’a conduit après des consultations de médecin généraliste puis de psychiatre sans effet, et devant mes crise de nerfs de plus en plus fréquentes, à l’hôpital le plus proche où une psychiatre et une psychologue m’ont gardé 12 jours sans obtenir de résultat probant à part une petite amélioration de mon sommeil. Les relations sont devenues très tendues avec elles, car elles se rendaient compte de leur totale incapacité à me calmer. Elles ont fini par contacter une clinique spécialisée à 100 km de là, où j’ai été conduit en taxi et installé dans une chambre double, ce qui n’a pas arrangé mon moral, du moins au départ, mon colocataire étant dans les lieux depuis plusieurs mois, sans grande amélioration.

Pourtant, ce transfert a finalement été très bénéfique pour moi: le psychiatre que j’ai vu en arrivant, après m’avoir écouté un quart d’heure, m’a dit « je vais essayer un traitement médicamenteux, mais s’il ne marche pas, je passerai aux électrochocs ». Phrase salutaire s’il en est car le choc, pour moi, a été d’entendre cette menace que j’ai refusée abruptement tellement elle me faisait peur. Et curieusement, le traitement médicamenteux à base d’antidépresseurs, d’anxiolytique, de lithium et de somnifère a très vite commencé à produire des effets. Les entretiens journaliers avec ce psychiatre très positif et encourageant m’ont également fait beaucoup de bien (c’est lui qui m’a dit au bout de 2 semaines qu’il me trouvait beaucoup mieux qu’à l’arrivée, ce dont je n’avais pas vraiment conscience). J’ai recommencé à mieux dormir, mon appétit s’est amélioré. Le personnel de la clinique nous proposait des activités diverses en intérieur ou dans les environs, ce qui me permettait de voir le temps passer plus vite. Le seul gros problème était la distribution des médicaments, 4 fois par jour, avec des queues interminables devant le local de préparation des doses.

Au bout de 4 semaines, le psychiatre à qui j’expliquais que je voulais passer une semaine à la mer avec femme, fille et petits-enfants, a accepté de me laisser sortir, non sans préciser que si j’en éprouvais le besoin, je pouvais revenir à la clinique ensuite. J’ai passé une semaine en famille, pendant laquelle j’ai énormément dormi, mais où j’ai commencé à reprendre un peu de goût à la vie. De retour chez moi, j’ai repris contact avec ma psychiatre qui dans un premier temps, m’a redonné exactement le même traitement que celui de la clinique. Puis au fil des mois, devant mes réponses plutôt positives, elle a d’abord supprimé le somnifère (je dormais comme un loir et surtout, je me rendormais immédiatement après les interruptions). Et je dormais aussi pendant la sieste. Puis au bout de quelques mois, elle a supprimé l’anxiolytique (Séresta) du midi pour ne me laisser que l’antidépresseur (Sertraline) le matin et le lithium (normothymique) le soir, à des doses cependant élevées, ceci après environ un an de traitement. Ensuite, elle est devenue extèmement circonspecte par rapport à la diminution des doses que je lui demandais, en particulier parce que le lithium me provoquait des tremblements importants et des pertes d’équilibre très handicapantes. Une diminution fut consécutive à mon voyage dans un pays lointain où la dose de 2 comprimés et demi de lithium m’obligeait à casser des comprimés en 2 le soir dans des hébergements précaires et où j’ai décidé moi-même de réduire à 2 comprimés, diminution qu’elle a entérinée à mon retour. Un an plus tard, alors que les ordonnances trimestrielles se répétaient à l’identique, l’intervention d’une psychologue que je m’étais décidé à aller voir l’a convaincue de diminuer encore un peu le lithium de 2 tous les jours à 2 un jour et 1,5 le lendemain. Il faut dire que parallèlement, mes analyses de sang montraient une baisse de la créatinine, en-dessous du minimum conseillé, conséquence avérée de la prise de lithium, montrant bien son influence néfaste sur les reins. Au bout de 3 ans et demi de traitement, en février 2022, elle m’a regardé d’un air satisfait et convaincu pour me dire: « maintenant, plus de diminution, nous avons trouvé la bonne dose ! ».

Cette phrase a été pour moi un véritable électrochoc: autrement dit, j’allais subir ce traitement jusqu’à la fin de mes jours si je ne décidais pas par moi-même de faire quelque chose. C’est à peu près à ce moment-là que je suis tombé, à la bibliothèque municipale, sur le livre d’Ariane Denoyel « Génération Zombie, le scandale des anti-dépresseurs » dont j’ai lu le résumé et que je me suis empressé d’acheter, pressentant qu’il pourrait me servir plus longtemps que la durée normale du prêt. Cette lecture m’a encouragé à décider de me sevrer. J’en ai parlé à mon médecin traitant et à ma psychologue qui m’ont conseillé de le faire très progressivement et de stopper au moindre signe de reprise de la dépression. J’ai annulé le rendez-vous fixé avec ma psychiatre en avril (ce qui n’a provoqué aucune réaction de sa part) et le 1er mars, j’ai commencé à diminuer les doses. J’ai mis 4 mois à passer lentement à zéro, sans autre conséquences que l’arrêt progressif de mes tremblements, l’amélioration de mon équilibre, et le retour d’envies et de projets oubliés depuis plusieurs années. Ma psychiatre avait trouvé la « bonne dose » en considérant que ma dépression était restée la même que 4 ans auparavant, je me félicite d’avoir trouvé sans elle la bonne dose par rapport à mon état mental d’aujourd’hui et d’avoir au moins essayé de vérifier ce qu’il en
était réellement.

Bien sûr, je suis conscient que je peux rechuter, mais dans ce cas, je saurai sans doute mieux évaluer les signes avant-coureurs et éviter à l’avenir d’attendre trop lontemps avant de consulter. C’est pour cette raison que je maintiens les rendez-vous avec ma psychologue-psychothérapeute. Avec elle, s’est instauré un vrai dialogue que je n’ai jamais eu avec ma psychiatre. Celle-ci se contentait de plus en plus de préparer des ordonnances et ne cherchait plus à savoir ce qui avait pu provoquer ma dépression. C’était ma première expérience avec cette catégorie de médecins et j’espère bien que ce sera la dernière…

Novembre 2022